Le 10 Février 2020 dernier – avait lieu une conférence à Lyon intitulée “Peut-on dire la vérité en entreprise ?” organisée par trois sociétés : Humanem – centre de formation dédiée à l’Humain dans le monde du travail, dirigé par Thierry Villemagne ainsi que Credoworking et Taplow Consulting.
Au fil de cette conférence passionnante à Lyon, plusieurs personnes sont intervenues. Elles ont abordé le thème de la vérité en entreprise à travers leur prisme et leur expérience de la vérité. Parmi les intervenants : Jean-Jacques Montlahuc – auteur du livre “Se dire la vérité en entreprise” qui intervient auprès des entreprises et organisations de Lyon (et ailleurs en France) sur le thème de la vérité au service du développement du leadership et de l’intelligence collective en entreprise.
Cet article de blog est donc l’occasion pour moi, qui ait assisté avec grand intérêt à la conférence, de mettre les notes que j’avais prise dans un format plus digeste : aussi bien pour les personnes qui se questionnent sur le sujet de la vérité entreprise (ce qui répond à un réel besoin actuellement) mais aussi pour les participants qui n’ont pas pensé à prendre de notes le jour J.
Note : si vous voyez des corrections ou imprécisions – merci de me les faire suivre par le biais de la page de contact du site !
Conférence à Lyon : Peut-on dire la vérité en entreprise ? Le point de vue des étudiants
Deux étudiants de l’ESDES (la business school de l’UCLY) sont venus partager leur regard neuf sur l’entreprise en tant qu’étudiants Master de Sciences Humaines et Innovation
L’occasion pour eux, de parler à cœur ouvert de leurs représentations pour les confronter à celle de l’auditoire.
Les thèmes qu’ils ont évoqués :
- Un manque de cohérence et la déception de voir qu’en tant qu’étudiant – ils sont en dynamique de demande que d’offre face à l’entreprise.
- Leur élan initial était d’étudier en école de commerce pour comprendre les rouages de l’entreprise mais leur constat est que l’entreprise est comme une machine pour faire des étudiants, une pièce remplaçable qui entre dans un moule au lieu de pouvoir apporter une singularité, une valeur ajoutée unique à l’entreprise.
- Un sentiment de désengagement à force de ne pas pouvoir contribuer d’une façon ou d’une autre dans l’entreprise.
- Un autre constat est, que pour eux, il y a une vraie volonté du bien commun mais la notion de bien commun est souvent zappée ou mise à mal dans le contexte de l’entreprise.
- La question qu’ils posent ouvertement au public pour conclure : “Comment jouer notre vrai rôle, c’est à dire, notre propre rôle dans vos entreprises ?“
Une question rhétorique à laquelle ils espèrent obtenir des réponses au cours de la soirée en écoutant les divers intervenants.
Arnaud Alibert : Supérieur de la communauté assomptionniste – enseignant à l’ESDES
Le père Arnaud Alibert évoque l’école de la pensée sociale Lyonnaise – qu’il considère être la seule école de philosophie du 20e siècle regroupant de grands penseurs Lyonnais.
Pour ces penseurs, le travail est entre deux mondes :
- Celui de l’action et de la liberté à travers le sentiment d’accomplissement intérieur que procure le travail
- La loi de la nature ou les choses s’imposent à la volonté de l’Homme : à force de côtoyer ce monde on rentre dans une dynamique de soumission et d’aliénation.
“La vérité est le socle de tout un édifice de vie“, une citation issue du dernier Pèlerin magazine.
Il explique qu’à force de petits mensonges, on entoure la vérité d’un halo d’incertitude. Si on se dit :”Oh cette personne, s’accommode de petits mensonges” la confiance diminue au fur et à mesure.
Pour lui, c’est la clé hermétique de tous ces petits mensonges qui finit par devenir la théorie du complot.
Le père Alibert explique que dans l’acte de parole, si tant est que je veuille dire la vérité, il existe des filtres. Il n’y a donc pas de vérité ultime, de toute façon.
Les assomptionnistes sont portés plusieurs vertus, dont la vérité. Pour lui, Jésus est fils de Dieux parce qu’il a accès à la vérité de Dieux qui est la Révélation. Dans la foi, il existe la possibilité de vivre l’unité de vérité que Jésus incarne.
L’affirmation crée une position (et potentiellement une séparation) pendant que la vérité crée une communion.
L’affirmation est une balise : tout s’organise autour de ce point fixe / une place forte. La sagesse nous enseigne que ce qui est une place forte peut être attaqué demain.
La vérité crée une communion car ceux qui en sont adeptes ressentent une joie intérieure (comme un émerveillement). C’est un travail d’articulation des positions qui donne un socle solide. Pour arriver à la vérité – il faut se mettre à nu. C’est une crudité, d’être tels que nous sommes !
Avec la vérité – les apparences sont transparences. Comment arriver à la vérité ? Elle s’atteint par le dialogue.
Il suggère donc de supprimer toute opposition pour la différence, afin de chercher ensemble ce qui est important pour trouver la vérité, ensemble.
Il conclut en expliquant que recherche la vérité ensemble, c’est recevoir ce que dit l’autre par ses sommets (et non par ses sous-produits) : l’écouter, l’entendre en résumant sa pensée au meilleur de ce qu’il a voulu dire.
Conférence à Lyon : sur la vérité en entreprise avec Antoine Parais – responsable site Solvay
L’intervenant suivant est Antoine Parais qui avec un long parcours dans les ressources humaines à des postes de directions aborde la vérité sous deux angles :
- La Vérité avec soi et avec l’autre (dans la relation individuelle)
- La Vérité collective dans le cadre du management
Il identifie des situations et questions à se poser tout au long de la vie professionnelle sur la vérité :
- L’entretien d’embauche : Les descriptions de poste donnent l’impression que c’est le paradis. Une des difficultés, c’est de ne plus se rendre compte que le langage utilisé est obscure pour le monde extérieur à l’entreprise. Or il s’agit d’attirer des talents extérieurs à l’entreprise ! Face à ce type d’offre, il faut pouvoir poser des questions : Quelle est l’état d’esprit de ce manager ? qui a tenu le poste précédent ? Est-ce la troisième fois que quelqu’un quitte ce poste ? Sa recommandation est donc surtout de pouvoir comprendre comment chacun se positionne.
- Le feedback : le problème numéro 1 du feedback, en rapport à la vérité est qu’il est fait par Contumas. Tout le monde le sait sauf, vous ! L’inconvénient de cette situation est qu’on n’est dans une situation de vérité qui peut présenter des inconvénients. i.e. la douche froide que peut recevoir quelqu’un quand il finit après de longues années par entendre ses 4 vérités.
- Les entretiens ou situations difficiles : l’entretien disciplinaire lorsqu’on lance une procédure de licenciement. La réponse : le respect, la pudeur et l’honnêteté de votre approche font toute la différence pour établir la vérité.
Deux questions émergent :
- Peut-on dire publiquement en entreprise ce qui est dit entre 4 yeux ?
- Suis-je en accord avec ma conscience ?
La vérité sur de petits faits est un facteur de confiance lors de “grandes” situations. Il faut avoir le courage de dire les choses avec les mots adaptés et de les dire à temps !
La vérité dans les relations sociales est important : il y a vraiment une relation de confiance à instaurer. Les éléments pratiques pour la créer sont de faire des réunions informelles avec les organisations syndicales afin de se connaître.
Pour que Vérité et Travail avancent main dans la main : c’est une recherche qui s’inscrit dans la durée et c’est la relation de confiance qui en est le témoin.
Intervention de Guillaume Mullier à la Conférence sur la vérité en entreprise
Il est le président de la société Dimo Software. Il aborde et évoque sans tabou comment il est tombé dans la Maniaco-dépression et comment cela l’a amené à intervenir auprès de l’association 60 000 Rebonds.
Son attitude de transparence et de vérité sur sa maladie lui a permis de rester dans l’entreprise dont il a choisi de ne pas être majoritaire en terme de parts.
Un partage des décisions a été fait avec les membres du board en requérant l’unanimité pour pouvoir prendre une décision stratégique chez Dimo Software.
Guillaume Mullier explique que l’alignement n’est pas simple dans une entreprise. En faisant le SWOT à tous les niveaux chez Dim Software : ils ont constaté que 95% de l’entreprise était alignée, suite à l’intervention d’un consultant sur l’alignement.
Il est également président de l’association 60 000 Rebonds (association venant en aide aux chefs d’entreprise qui ont fait faillite) et évoque aussi les 7 D de la chute chez l’entrepreneur :
- Les Difficultés
- La Douleur
- Le Déni,
- Le Divorce,
- La Déprime
- La Dépression,
- Les Dettes perso,
Aujourd’hui en France, les entrepreneurs n’ont pas le droit à des aides ou au chômage. L’association les met donc en contact de coaches et avec des personnes qui les aident à avoir de l’expérience vers une vérité intérieure. Les gens s’entraident ensuite en co-développement – et deviennent des entreprenants en rebond !
Ensuite on a un parrain mais on aussi besoin de coachs, de parrains et de bénévoles / volontaires.
Là où les statistiques nationales disent qu’il faut 7 ans pour rebondir avec 60k rebonds : cela ne prend que 2 ans !
Avec cela on progresse en solidarité pour pouvoir se faire aider, les entrepreneurs doivent être dans la vérité pour oser demander de l’aide et parler des problèmes qu’ils rencontrent.
A la suite de cette intervention, les organisateurs ont prévu un temps d’échange de 20 à 30 minutes pour traiter les sujets donnés en groupe de 6 à 8 personnes entre les participants. Une excellente idée permettant de briser la glace et d’échanger ensemble autour de situations données autour de la vérité en entreprise.
Jean-Jacques Montlahuc à la Conférence sur la vérité en Entreprise à Lyon
Pour Jean-Jacques Montlahuc, se dire la vérité en entreprise est un travail sur les principes de l’intelligence collective et du leadership. Voici le modèle auquel il réfère lors de son intervention :
Pourquoi s’intéresser à la question de la vérité en entreprise ? Le modèle de leadership basé sur le charisme et l’autorité est dépassé.
Les entreprises aspirent de plus en plus à l’horizontalité et au développement du leadership par l’intelligence collective. C’est ce qu’il observe de plus en plus dans les entreprises qu’il accompagne au quotidien.
Son histoire : A 13/14 ans – Jean-Jacques Delahuc – n’a pas le droit de dire des vérités qui sont les siennes.
Arrivé en entreprise, il découvre l’agenda caché et les réunions “post-réunions”. Il se rend compte que l’importance de la vérité est partout et il cherche donc passionnément à réconcilier l’entreprise et la vérité.
Ce qu’il entend le plus : “la vérité et l’entreprise ne vont pas ensemble !”
Pourtant, la dimension économique de l’entreprise n’exclut pas la dimension de l’importance de la vérité.
Il travaille avec des entreprises de +350 collaborateurs jusqu’aux grands groupes qui cherchent à mettre en place une culture de la vérité en entreprise. C’est une aventure qui engage personnellement.
Pour être en vérité avec l’autre, il faut pouvoir donner l’exemple : “Est-ce que je peux me regarder ? Accepter mes pensées et émotions sur moi ?”
Cela demande beaucoup de courage et de détermination. Cela demande de s’exposer dans une rencontre humaine et cela peut sembler difficile, lorsqu’on a appris à se cacher derrière une fonction.
Ce qui est primordial, c’est cette relation humaine.
Il explique “Si je veux que vous puissiez être en vérité avec moi MAIS si moi je n’admets pas ma part à moi de vulnérabilité – je ne pourrai pas vous accueillir dans votre vérité.”
La vérité en entreprise est donc une belle aventure : elle enthousiasme les collaborateurs. On est plus performant en faisant cela et on travaille mieux lorsqu’on se dit la Vérité.
Question du public : Comment faire émerger une culture de vérité en entreprise ?
2 choses importantes pour répondre à cette question :
- Faire émerger une nouvelle conception du rôle de leader : Ça ne doit pas être un arrangement ou juste une mode, parce que sinon cela va avoir l’effet inverse de celui escompté !
- Faire émerger une nouvelle identité d’équipe : La vérité au cœur du management : on va passer d’une logique individuelle à une logique d’équipe. Beaucoup de choses qui se disent pourraient être dites au sein de l’équipe. Pour cela il faut : créer un espace protégé dans lequel c’est permis de dire ce qu’on pense (ce sont les dirigeants qui peuvent apporter du changement). Toutes les équipes ont un rêve collectif. En demandant : “Qu’est ce qui fait que vous décidez de rester dans cette équipe et dans cette entreprise ?” – on peut le voir se dessiner au fil des réponses des collaborateurs.
On parle aussi d’exemplarité et d’agilité : le dirigeant doit être exemplaire (pas forcément parfait) pour que les équipes puissent ensuite l’être aussi !
La coresponsabilité dans ce cas, c’est être co-responsables du processus d’exemplarité : “Qu’est-ce que je suis prêt à donner de moi pour que les autres soient aussi prêts à donner d’eux même ?”
La coopération : parfois les équipes n’ont pas trouvé l’intérêt de coopérer. Dans ces cas là – ça va être difficile de mettre de la vérité au service de l’équipe, de l’entreprise et de l’organisation.
Il donne aussi un processus pour l’intégration de l’histoire de l’équipe et confronter les réalités :
Placez-vous en cercle et demandez à chacun de raconter sa version de l’histoire de l’équipe. C’est ce qui va permettre de trouver le mythe fondateur de l’équipe.
Ce qui empêche de dire la vérité – c’est qu’on anticipe ce que la personne va dire. On pense qu’elle ne va pas être en capacité d’entendre.
Question : Comment connaître le niveau d’ouverture dont une personne va pouvoir faire preuve ?
Lorsque Jean-Jacques Montlahuc rencontre un dirigeant pour la première fois – il lui parle de lui sur le plan personnel et voit si le fait d’être en relation avec le dirigeant est dans son modèle du monde. Cela permet de savoir si la personne en est capable. Le meilleur outil, c’est vous – il n’y a pas d’autre technique.
La vérité est au service de l’intelligence collective : d’un projet, d’une entreprise…la vérité émerge d’un travail d’équipe dans un but d’intelligence collective.
Question : Quid de la pudeur et de ce que l’on a le droit de dire ou non à l’équipe ?
On ne va pas nuire ou essayer de “pousser” une vérité. Ce qui est important c’est de respecter la culture de l’entreprise et celle des hommes et des femmes qui la font. Le rôle n’est pas de “pousser” cette vérité mais de créer des conditions qui la font naître.
Parfois le dirigeant oublie qu’il aime son entreprise et quand il apprend à créer de la vérité et la faire renaître dans l’entreprise – il redécouvre cet amour.
Patrick Colin lors de la conférence à Lyon sur la vérité en entreprise
Patrick Colin est dirigeant d’une société qui fabrique des composants pour l’automobile. Toutes ces démarches de vérité ressemblent beaucoup, pour lui, à la démarche qualité dans le cadre de son entreprise.
Elle produit des capteurs, qui, lorsqu’ils sont défaillants causent des rappels de véhicule qui ont coûté 7 et 2 Millions d’euros aux assureurs en plusieurs dizaines d’années de vie de l’entreprise.
A l’occasion de ces événements de rappels de véhicules : dire la vérité est ESSENTIEL.
Rechercher la vérité, c’est comprendre comment les capteurs deviennent défaillants. On va donc partager de façon totalement ouverte les découvertes qu’on peut faire avec les clients, pour accélérer la recherche de solution. Avec des enjeux financiers importants, il peut y avoir des tentations de cacher la vérité.
Le meilleur plaidoyer de la vérité, c’est comprendre les problèmes que nous rencontrons, et pouvoir grandir dans la confiance qu’on a avec les clients.
La façon dont les crises ont été résolues dans l’esprit de qualité, ont permis de grandir avec les clients et améliorer la qualité de l’entreprise dans son ensemble.
En tant que dirigeant et chrétien catholique et pratiquant : face à toutes ces difficultés, c’est dans la foi qu’il a été possible, pour lui, de surmonter les doutes et expérimenter la réalité que le Christ est la Vérité, le chemin et la vie. Pour être libre avec ses clients, on s’achemine sur des sentiers difficiles parce qu’un jour ou l’autre, la vérité est découverte.
Conférence à Lyon sur la Vérité en Entreprise – ma conclusion
En assistant à cette conférence – les aspects de l’intelligence collective et du leadership m’ont beaucoup fait réfléchir et notamment sur la place que le théâtre en entreprise peut avoir dans ce contexte de recherche de vérité.
L’improvisation théâtrale appliquée à l’entreprise est un outil très versatile qui peut permettre aussi de mettre en scène des situations demandeuses de vérité.
Elle peut permettre de libérer la parole et d’expliciter des représentations et situations parfois difficiles de manière humoristique, décalée ou plus investie et sincère.
C’est d’ailleurs dans la vérité des relations et leurs dynamiques que le théâtre d’improvisation est le plus fascinant. Là où beaucoup de spectacles d’impro peuvent donner l’impression d’une discipline légère aux personnages jetables et à la recherche d’un rire facile…on peut au contraire toucher et explorer des sujets d’une grande profondeur, un peu à la manière de ce qui peut se faire avec le théâtre de l’opprimé.
Les passerelles entre intelligence collective, leadership, vérité et improvisation appliquée à l’entreprise sont clairement présentes et à explorer ! Je continue donc ma réflexion sur les possibilités de faire cohabiter tout cela et espère que vous avez apprécié le compte-rendu de cette conférence à Lyon sur la vérité et l’entreprise.